Cosmao Kerjulien (Julien Marie, baron), fils d'un notaire de Châteaulin, naquit dans cette ville le 27 novembre 1761.
Il avait à peine atteint sa quinzième année que, dominé par le désir de se faire marin, il se rendit à Brest, sans consulter ses parents.
Embarqué comme volontaire sur la frégate l'Aigrette, à la recommandation de son frère aîné, Cosmao Dumanoir, secrétaire des Commandements du Comte Hector, il fit campagne d'un an aux Antilles.
Il embarqua ensuite sur la frégate l'Oiseau, expédiée sur les côtes de l'Océan. Pendant cette seconde campagne, Cosmao se fit remarquer dans deux combats. Le premier, devant Bordeaux, contre une frégate anglaise de premier rang que l'Oiseau força à s'éloigner.
Le second, dans l'ouest de Belle-Ile, contre un corsaire anglais de 24 canons de 12, dont la frégate française s'empara, après un engagement très vif.
Passé en janvier 1779 sur l'Hirondelle, frégate de 20 canons, il prit part, le 16 septembre suivant, à un combat opiniâtre contre deux corsaires anglais : l'un de 14 canons, l'autre de 12, qui furent très maltraités et réduits à fuir, après une lutte de trois heures.
Quinze jours plus tard, l'Hirondelle obligea un corsaire de 16 canons à se jeter à la côte, à l'entrée de la rivière de Surinam, et, le 10 juillet 1780, la frégate française captura deux bâtiments de la Compagnie des Indes richement chargés.
Cosmao, nommé lieutenant de frégate, au mois de novembre 1781, fit dans l'océan, sur les vaisseaux le Pégase et le Protecteur, plusieurs croisières suivies d'une expédition à Terre-Neuve, sur la flûte la Fidèle qu'il commandait.
La réputation d'habile manuvrier qu'il avait su mériter, le fit nommer sous-lieutenant de vaisseau en 1786 et rechercher successivement des commandants de la Lourde , de la Vigilante et de la Dorade.
Il fit sur ces bâtiments diverses campagnes dans les mers du nord et aux iles du Vent, jusqu'en 1787, époque à laquelle il obtint d'abord le commandement du Vanneau et, deux mois après, celui de la gabarre la Boulonnaise qu'il conserva pendant deux ans.
Promus lieutenant de vaisseau au mois de mai 1792, Cosmao prit le commandement du Brave . Nommé capitaine de vaisseau l'année suivante, il passa à celui de la Syrène, sur laquelle il fit une campagne d'environ un an dans la Méditerranée.
Après avoir commandé successivement de 1793 à 1794, le Centaure, le Commerce de Marseille et le Duguay-Trouin, il fut nommé capitaine de pavillon du Tonnant, monté par le contre-amiral Delmotte, et faisant partie d'une armée navale de quinze vaisseaux, six frégates et trois bricks, commandée par le contre-amiral Martin.
Lors de la sortie, le 5 juin 1794, d'une division de sept vaisseaux, cinq frégates et une corvette, Cosmao commandait le Tonnant. Le 1er mars 1795, l'armée entière sortit, cette fois, Cosmao, encore capitaine du Tonnant, avait à son bord le contre-amiral Delmotte.
Lors de l'engagement qui eut lieu, le 7 du même mois, entre la frégate française l'Alceste et le Berwick, le Tonnant, arrivé sur le champ de bataille deux heures après le commencement de l'action, tira trois coups de canon après lequel le Berwick amena son pavillon.
Cinq jours après, l'armée fut rencontrée sous le cap Noli par une escadre anglaise de treize vaisseaux, deux corvettes et un cutter. Dans cette affaire, le Ça-ira et le Censeur furent pris, malgré le secours de quatre vaisseaux, du nombre desquels était le Tonnant.
Devenu chef de division, Cosmao commanda successivement et sans interruption, de 1797 à 1805, six vaisseaux différents, sur lesquels il fit plusieurs campagnes. À Saint-Domingue, il commanda plusieurs stations et prit part à quelques-uns des combats livrés aux nègres (sic) révoltés.
Commandant ensuite, en 1805, le vaisseau le Pluton, faisant partie de l'armée franco-espagnole de dix-huit vaisseaux, sept frégates, une corvette et un brick, commandée par le vice-amiral Villeneuve, il eut pour mission spéciale, aussitôt l'arrivée de l'armée en Martinique, d'attaquer avec une division le rocher jusque là réputé imprenable du Diamant, situé dans le sud-ouest de Fort-Royal, et occupé par les Anglais.
Après avoir embarqué trois cents hommes de troupe, la division composée de deux vaisseaux : le Pluton et le Berwick, de la frégate la Syrène et de la goélette la Fine, appareilla de Fort-Royal dans la soirée du 29 mai et, malgré le feu des batteries du fort, malgré une vive fusillade des Anglais, cachés dans les anfractuosités du rocher, le Diamant fut pris le 2 juin, après quatre jours de combat.
Cette entreprise d'une exécution presque impossible a été mise avec raison au nombre des plus beaux faits d'armes de la marine française. Au mois de juillet suivant, l'armée navale rentrée dans les mers d'Europe, faisait voile près le Ferrol, lorsque le 22, par la latitude du cap Finistère, elle rencontra l'armée anglaise commandée par l'amiral Sir Robert Calder.
L'armée franco-espagnole s'étant mis en ordre de bataille, les vaisseaux espagnols en avant-garde, et le Pluton en tête des vaisseaux français, Cosmao s'aperçut que le vaisseau espagnol le Firme, serre-file de ceux de sa nation, démâté de plusieurs de ses mats, dérivait dans la ligne anglaise. Ne consultant que son courage, il quitte son poste et vient se placer entre les Anglais et le Firme.
Cette belle et audacieuse manuvre aurait eu tout le succès qu'en attendait Cosmao, si les vaisseaux placés derrière le Pluton eussent pu l'imiter. Mais la brume et la fumée les en empêchèrent et, se trouvant seul contre plusieurs vaisseaux ennemis, il se vit forcé d'aller reprendre son poste. Le Firme tomba au pouvoir des Anglais. Pendant que Cosmao se dévouait ainsi pour venir au secours d'un vaisseau allié, trois autres : le Terrible, l' España et l' America, fort maltraités, tombaient sous le vent de la ligne.
Le Pluton quitta encore son poste pour couvrir ces vaisseaux de son feu. Mais, plus heureux cette fois, il les empêcha d'être enveloppés et pris. Au funeste combat de Trafalgar (21 octobre 1805), l'intrépide Cosmao renouvela, surpassa même encore la belle conduite que nous venons de le voir tenir. Il manuvra constamment pour empêcher la ligne d'être coupée et pour soutenir les vaisseaux voisins du sien qu'il voyait trop pressés par l'ennemi. Dès le commencement de l'action, un vaisseau anglais de 80 veut passer sur l'avant du Pluton.
Cosmao force de voiles, en venant au vent et, en obligeant lui-même ce vaisseau à tenir lui-même le vent, il le force à chercher un autre point d'attaque. En effet, il se dirige alors entre le Monarcaet le Fougueux qu'un assez grand intervalle séparait en ce moment. Mais Cosmao qui suit les mouvements de ce vaisseau, place le Pluton dans cet intervalle et contraint son adversaire à lui présenter le travers pour éviter d'être enfilé par l'avant. Le combat entre les deux vaisseaux durait depuis une demi-heure, Cosmao allait enfin ordonner l'abordage lorsqu'un vaisseau à trois ponts et un de 80 s'avancèrent pour prendre le Pluton en poupe.
Cosmao sut se tirer promptement de cette position critique. Par une manuvre habile, il parvint à prendre par la hanche le vaisseau qui le combattait primitivement et à présenter le travers au vaisseau à trois ponts. Il se trouva même bientôt en position d'envoyer dans la poupe du premier quelques volées qui le démâtèrent de son mat d'artimon et de son grand mat de hune, ce qui le força à s'éloigner.
Cosmao dirigea son feu contre le trois-ponts. Sa résistance fut si vigoureuse et ses coups si heureux qu'il se fit abandonner du vaisseau anglais ?
Le Pluton continua ensuite de tenir le vent et de parcourir la ligne, se portant où il pouvait dégager ou soutenir quelque vaisseau et faisant tous ses efforts pour se faire suivre de plusieurs d'entre eux qu'il voulait ramener au combat.
Lorsque l'issue du combat ne fut plus douteuse pour Cosmao, il se rallia au pavillon de l'amiral Gravina qui était parvenu à rassembler quatre vaisseaux français et six espagnols et il fit route avec lui pour Rota où les débris d'une si belle armée mouillèrent dans la nuit du 21.
Le lendemain, l'amiral Gravina a mis sous ses ordres ceux des bâtiments qui, l'ayant suivi au mouillage, étaient en état d'appareiller. Bien que le Pluton fit trois pieds d'eau et que son équipage fut réduit à moins de trois cents hommes, Cosmao, profitant d'un vent favorable, sort avec deux vaisseaux français, deux espagnols, cinq frégates et deux corvettes. Il se porte au large, atteint les anglais et parvient à leur reprendre deux vaisseaux espagnols dont un trois-ponts que montait l'amiral Alava, et un de 80, qu'il fait remorquer par ses frégates jusque dans la rade de Cadix.
Quelques vaisseaux français que les Anglais emmenaient à la remorque profitèrent de cette circonstance pour se reprendre. Decrès, dès qu'il apprit le désastre de Trafalgar, s'empressa de féliciter Cosmao sur la belle conduite qu'il avait tenue au combat.
« Dites aux capitaines du Neptune et du Pluton porte sa dépêche du 10 décembre 1805 qu'il ne m'est point échappé dans le rapport des frégates, qu'ils se sont couverts d'honneur et que j'ai vu qu'alors que la retraite se faisait, ils tenaient encore le vent et faisaient le signal d'imiter leur manuvre pour retourner au combat, détermination honorable dont l'Empereur appréciera tout le mérite ».
Napoléon ne démentit pas son ministre. Il fit Cosmao contre-amiral. Le gouvernement espagnol, voulant de son côté lui donner un témoignage de sa gratitude, le créa Grand d'Espagne de 1ère classe.
Après plusieurs croisières en Méditerranée, de 1806 à 1808, Cosmao, commandant en 1809 une division de cinq vaisseaux et deux frégates, parvint à tromper la vigilance d'une armée anglaise qui bloquait étroitement Toulon et à faire entrer à Barcelone un convoi de cinquante voiles destiné à ravitailler cette place alors aux abois.
Il ne cessa d'être employé activement à la mer jusqu'en 1813. À cette époque, l'armée navale aux ordres du vice-amiral Emeriau et dont Cosmao commandait une division sur le Wagram, faisait de fréquentes sorties et elle avait eu avec les Anglais divers engagements partiels, lorsque, le 5 novembre 1813, dans une de ces excursions, une saute de vent exposa subitement plusieurs vaisseaux de l'avant-garde aux feux de l'ennemi.
Cosmao laissa alors porter en dépendant et couvrit avec son vaisseau le trois-ponts l'Agamemnon qui courait le danger d'être enveloppé. Il manuvra ensuite de la même manière à l'égard des frégates la Pénélope et la Melpomène, en prenant position entre elles et les vaisseaux qui menaçaient de la couper.
Chargé, au mois de février 1814, par le vice-amiral Emeriau, de protéger l'entrée à Toulon du vaisseau le Scipion, attendu de Gènes, Cosmao sortit le 12 avec trois vaisseaux et deux frégates.
Le lendemain de son départ, cette division se trouvant à la pointe du jour à cinq ou six lieux dans le sud-ouest de Fréjus, eut connaissance de deux frégates auxquelles elle donna la chasse.
Elle était à quinze milles dans le un quart sud du cap Bénat, lorsque fut signalée dans le sud une armée navale anglaise commandée par Sir Edward Pellew et forte de quatorze vaisseaux dont sept à trois ponts. Il faisait calme. Cosmao ordonna d'abord les dispositions de combat, mais, quelques moments après, la brise s'étant levée, la division française fit route pour rentrer à Toulon, en passant par les iles d'Hyères.
À midi, elle sortait de ces iles par la petite passe, en ordre de convoi, les vaisseaux et frégates rangés comme suit : le Sceptre , vaisseau amiral, la Médée, la Dryade, le Trident, l' Adrienne et le Romulus.
À 30 mètres, le Boyne, vaisseau de tête de la ligne anglaise, ouvrit le feu sur la Médée, la Dryade et le Trident qui ripostèrent avec vigueur jusqu'à ce que, parvenu à passer derrière le Trident, le Boyne put envoyer à la colonne française une bordée de l'arrière vers l'avant, et séparer ainsi l' Adrienne et le Romulus sur lequel il dirigea ensuite exclusivement son feu.
Le Romulus soutint vaillamment son attaque et parvint à rallier, sur la rade de Toulon, la division que Cosmao y avait ramenée, bien que l'ennemi lui croise la route.Cosmao, à qui Napoléon avait conféré en 1810 le titre de baron, avec une dotation de 4 000 francs, fut nommé le 10 avril 1815 et sans l'avoir sollicité, à la Préfecture Maritime de Brest.
Le 2 juin suivant, il fut élevé à la dignité de Pair de France. Destitué d'abord au mois de juillet 1815, sans pension de retraite, il ne put en obtenir une qu'à compter du 1er janvier 1817.
Il est mort à Brest, le 17 février 1825.
Il était Commandant de la Légion d'Honneur et Chevalier de Saint Louis. Il a laissé deux filles : l'une a épousé le contre-amiral Bazoche, ancien gouverneur de l'ile Bourbon, et l'autre, M. Prétot, directeur des Constructions Navales à Lorient.
« Il était le meilleur marin de l'époque et () personne n'a été plus brave et plus généreux », dira de lui Napoléon.
EXTRAIT DE L'ENCYCLOPEDIE BRETONNE DE Prosper LEVOT