Au lendemain d'Eylau
Le 9 février 1807
· Le 3e corps resta toute la journée sur le champ de bataille, où il fut passé en revue par l’Empereur. (« Opérations du 3e corps – 1806-1807 » rapport du maréchal Davout, duc d’Auerstaedt. Paris – Calmann Lévy – 1896 – p.162)
· A 2 h du matin, l’Empereur écrit à Talleyrand : « …il est deux heures du matin ; je suis fatigué ; je ne puis vous écrire qu’un mot. Le maréchal Duroc vous fera part de la victoire remportée hier sur l’armée russe. Quant à la communication qu’à faite le roi de Prusse, je pense qu’on pourrait lui répondre en ce sens ; que j’accepte les ouvertures faites pour mettre un terme à la guerre, que, loin d’élever aucune espèce de difficulté sur le lieu, le point le plus naturel me paraît être le point intermédiaire ; que je propose Memel même ; que j’y enverrai des plénipotentiaires aussitôt qu’on me fera connaître que la Prusse et la Russie en ont nommé… » (Corresp 11786).
· A 3 h du matin, il écrit à l’impératrice : « …Mon amie, il y a eu hier une grande bataille ; la victoire m’est restée, mais j’ai perdu bien du monde ; la perte de l’ennemi, qui est plus considérable encore, ne me console pas. Enfin, je t’écris ces deux lignes moi-même, quoique je sois bien fatigué, pour te dire que je suis bien portant et que je t’aime. Tout à toi… » (Jean Savant – « Napoléon et Joséphine » Fayard – 1960 – p. 200) - (Corresp 11787).
· Saint-Chamans, un des aides de camp de Soult, venu confirmer la retraite des Russes à 9 h du matin, trouve l’Empereur couché au milieu de ses aides de camp ; il écrit : « …Je trouvai l’Empereur dans une espèce de petite ferme, à une demi-lieue en arrière de Eylau…On n’était pas encore rentré dans sa chambre où il avait passé la nuit et l’on me dit que S.M. dormait…Je priai un valet de chambre…d’annoncer…que c’était pour une affaire pressante. Je fus aussitôt introduit. Napoléon, tout habillé et botté, était couché sur un matelas au coin d’un poêle ; je lui trouvai l’air fatigué, inquiet et abattu : - qu’y a-t-il de nouveau ? me demanda-t-il vivement à mon entrée dans la chambre. Je lui répondis en peu de mots que le maréchal Soult m’envoyait lui rendre des comptes de la retraite de l’ennemi et lui demander ses ordres. Il me fut facile de juger, alors, par l’épanouissement de sa physionomie du plaisir que lui faisait cette nouvelle…Le visage de l’Empereur devint radieux… » (« Mémoires » p.57 - Paris 1896). « …Sa culotte et son gilet blanc sont maculés de boue et ses gants de fine peau de daim sont noircis par la bride des chevaux qu’il aura successivement montés pendant la journée du 8 février…Il avait dîné de pommes de terre qu’il avait jetées dans les braises d’un feu de la Vieille Garde. Il avait passé la nuit tout habillé et botté, couché sur un matelas au coin du feu dans une petite ferme, à une demi-lieue en arrière d’Eylau… » (« Mémoires »
· Toujours habillé, il reçoit Percy le chirurgien et Lombard, l’ordonnateur en chef. Il interroge Percy sur les blessés.
· Il écrit à Cambacérès : « …le temps devient rigoureux. J’ai eu hier une bataille où la victoire m’est restée, mais j’ai perdu du monde. Du reste, vous verrez tous ces détails par le bulletin qui est exact… » (Corresp 11788).
· Il écrit à Duroc : « …Il y a eu hier à Preussich-Eylau une bataille fort sanglante. Le champ de bataille nous est resté, mais, si on a de part et d’autre perdu beaucoup de monde, mon éloignement me rend ma perte plus sensible. Corbineau a été enlevé par un boulet ; le maréchal Augereau a été légèrement blessé ; d’Hautpoul, Heudelet, quatre ou cinq autres généraux ont été blessés. Il deviendra bientôt nécessaire que le quartier général se réunisse à Thorn. Il faut que l’intendant général fasse arrêter sur Küstrin et Posen les convois d’argent qui n’auraient point passé ; car il est possible que, pour avoir des quartiers d’hiver tranquilles à l’abri des Cosaques et de cette nuée de troupes légères, je me porte à la rive gauche de la Vistule… » (Corresp 11789).
· Napoléon visite, vers midi, le champ de bataille. Il est consterné, silencieux. Arrivé près du 43e de ligne dont le colonel Lemarois avait été tué, il vit que les hommes avaient mis des crêpes noirs à leurs aigles : « …Je ne veux pas voir jamais mes drapeaux en deuil ; nous avons perdu bon nombre de nos amis et de nos braves compagnons, mais ils sont mort au champ d’honneur, leur sort est à envié. Occupons nous de les venger et non de les pleurer, car les larmes ne conviennent qu’aux femmes… » Puis, il regagne Eylau. Il devait y séjourner une semaine et sortir à peine de son cabinet.
· A 17 h, il écrit à Talleyrand : « …Je crois que l’on n’a pas encore fait de bulletin ; mais voici la note que vous pourrez mettre dans les journaux de Varsovie à envoyer à Constantinople et à Vienne. Dites à Lemarois que son frère a été tué, qu’il s’est conduit bravement. Corbineau a été enlevé d’un boulet. D’Hautpoul est blessé dangereusement. Ma Garde à cheval s’est couverte de gloire ; elle a eu 150 blessés et 40 tués ; le général Dahlmann, qui commande les chasseurs a été blessé. L’affaire a été fort chaude, et fort animée et assez chanceuse… » (Corresp 11790)
· Il écrit à Cambacérès à 17 h : « …la bataille d’Eylau aura probablement des résultats heureux pour la décision de ces affaires-ci. L’ennemi s’est retiré en pleine déroute, pendant la nuit, à une marche d’ici. Différents détachements de cavalerie sont à ses trousses. Les résultats en seront 40 pièces de canon et 12 000 prisonniers. On évalue la perte de l’ennemi à 10 000 blessés et à 4 000 morts ; ce n’est pas exagérer. Malheureusement notre perte est assez forte, surtout en gens de marque. Je l’évalue à 1 500 tués et à 4 000 blessés… » (Corresp 11791).
· A 18 h, il écrit de nouveau à l’impératrice : « …Je t’écris un mot, mon amie, afin que tu ne sois pas inquiété. L’ennemi a perdu la bataille, 40 pièces de canon, 10 drapeaux, 12 000 prisonniers. Il a horriblement souffert. J’ai perdu du monde, 1 600 tués, 3 à 4 000 blessés. Ton cousin Tascher se porte bien ; je l’ai appelé près de moi avec le titre d’officier d’ordonnance. Corbineau a été tué d’un obus. Je m’étais singulièrement attaché à cet officier, qui avait beaucoup de mérite ; cela me fait de la peine. Ma Garde à cheval s’est couverte de gloire. Dahlmann est blessé dangereusement. Adieu mon amie. Tout à toi…. » (Jean Savant – « Napoléon et Joséphine » Fayard – 1960 – p. 201) - (Corresp 11793).
· Il écrit à Duroc : « …Si les événements qui viennent de se passer ne portent pas le général Essen à s’éloigner, il est convenable que vous écriviez au prince Jérôme de mettre en marche une division bavaroise de 8 à 10 000 hommes sur Varsovie ; il recevra en attendant mes ordres. Pressez l’arrivée du contingent saxon à Posen… » (Corresp 11794).
· Il écrit à d’Hautpoul : « …M. le général d’Hautpoul, j’ai été extrêmement touché de la lettre que vous m’avez écrite. Votre blessure n’est pas de nature à priver votre fils de vos soins. Vous vivrez encore pour charger à la tête de votre intrépide division et vous couvrir d’une nouvelle gloire. Vous et vos enfants vous pouvez compter sur l’intérêt que je vous porte… » (Corresp 11795).
· Il réunit un conseil de guerre pour prendre l’avis de ses généraux. Murat et Ney veulent poursuivre Bennigsen et marcher sur Koenigsberg ; Soult fut d’avis de se retirer derrière la Passarge, d’en fortifier les retranchements, d’attendre que les soldats se remettent de leur fatigue et que les renforts arrivent. Ce fut l’avis de Soult qui l’emporta et dans le 58e bulletin de l’armée, l’Empereur annoncera la reprise des cantonnements par l’armée.
· Il dicte le 58e bulletin de la Grande armée, où il commence par le combat d’Eylau, du 7 : « …A un quart de lieue de la petite ville de Preussich-Eylau est un plateau qui défend le débouché de la plaine. Le maréchal Soult ordonna au 46e et au 18e régiment de ligne de l’enlever. Trois régiments qui le défendaient furent culbutés. Mais, au même moment, une colonne de cavalerie russe chargea l’extrémité de la gauche du 18e, et mit en désordre un de ses bataillons ; les dragons de la division Klein s’en aperçurent à temps. Les troupes s’engagèrent dans la ville d’Eylau. L’ennemi avait placé dans une église et dans le cimetière plusieurs régiments. Il fit là une opiniâtre résistance ; et, après un combat meurtrier de part et d’autre, la position fut enlevée à 10 h du soir. La division Legrand prit ses bivouacs au-dessus de la ville, et la division Saint-Hilaire à la droite. Le corps du maréchal Augereau se plaça sur la gauche. Le corps du maréchal Davout avait, dès la veille, marché pour déborder Eylau et tomber sur le flanc gauche de l’ennemi, s’il ne changeait pas de position. Le maréchal Ney était en marche pour le déborder sur son flanc droit. C’est dans cette position que la nuit se passa… » ; puis il relate la bataille d’Eylau : « …A la pointe du jour l’ennemi commença l’attaque par une vive canonnade sur la ville d’Eylau et sur la division Saint-Hilaire. L’Empereur se porta à la position de l’église que l’ennemi avait tant défendue la veille. Il fit avance le corps du maréchal Augereau, et fit canonner le monticule par 40 pièces d’artillerie de sa Garde. Une épouvantable canonnade s’engagea de part et d’autre. L’armée russe rangée en colonne, était à demi portée de canon ; tout coup frappait. Il parut un moment, aux mouvements de l’ennemi, qu’impatienté de tant souffrir il voulait déborder notre gauche. Au même moment, les tirailleurs du maréchal Davout se firent entendre et arrivèrent sur les derrières de l’armée ennemie. Le corps du maréchal Augereau déboucha en même temps en colonnes, pour se porter sur le centre de l’ennemi, et, partageant ainsi son attention, l’empêcher de se porter tout entier contre le corps du maréchal Davout ; la division Saint-Hilaire déboucha sur la droite, l’un et l’autre devant manœuvrer pour se réunir au maréchal Davout. A peine le corps du maréchal Augereau et la division Saint-Hilaire eurent-ils débouché, qu’une neige épaisse, et telle qu’on ne distinguait pas à deux pas, couvrit les deux armées. Dans cette obscurité le point de direction fut perdu, et les colonnes s’appuyant trop à gauche, flottèrent incertaines. Cette désolante obscurité dura une demi-heure. Le temps s’était éclairci, le grand-duc de Berg à la tête de la cavalerie, soutenu par le maréchal Bessières à la tête de la Garde, tourna la division Saint-Hilaire et tomba sur l’armée ennemie…La cavalerie ennemie, qui voulut s’opposer à cette manœuvre, fut culbutée ; le massacre fut horrible. Deux lignes d’infanterie russe furent rompues ; la troisième ne résista qu’en s’adossant à un bois…Cette charge brillante et inouïe, qui avait culbuté plus de 20 000 hommes d’infanterie et les avait obligé à abandonner leurs pièces, aurait décidé sur-le-champ la victoire, sans le bois et quelques difficultés de terrain. Le général de division d’Hautpoul fut blessé d’un biscaïen. Le général Dahlmann, commandant les chasseurs de la Garde, et un bon nombre de ses intrépides soldats, moururent avec gloire…Pendant ce temps, le corps du maréchal Davout, débouchait derrière l’ennemi. La neige, qui, plusieurs fois dans la journée, obscurcit le temps, retarda aussi sa marche et l’ensemble de ses colonnes. Le mal de l’ennemi est immense ; celui que nous avons éprouvé est considérable. Trois cents bouches à feu ont produit la mort de part et d’autre pendant douze heures. La victoire longtemps incertaine fut décidée et gagnée lorsque le maréchal Davout déboucha sur le plateau et déborda l’ennemi…Au même moment, le corps du maréchal Ney débouchait par Althof sur la gauche, et poussait devant lui le reste de la colonne prussienne échappée au combat de Deppen. Il vint se placer le soir au village de Schmoditten ; et par là l’ennemi se trouva tellement serré entre les corps des maréchaux Ney et Davout, que craignant de voir son arrière-garde compromise, il résolut, à huit heures du soir, de reprendre le village de Schmoditten. Plusieurs bataillons de grenadiers russes, les seuls qui n’eussent pas donné, se présentèrent à ce village ; mais le 6e régiment d’infanterie légère les laissa approcher à bout portant et les mit dans une entière déroute…Le maréchal Augereau a été blessé d’une balle. Les généraux Desjardins, Heudelet, Lochet ont été blessés. Le général Corbineau a été enlevé par un boulet. Le colonel Lacuée, du 63e, et le colonel Lemarois du 43e, ont été tués par des boulets. Le colonel Bouvières, du 11e régiment de dragons n’a pas survécu à ses blessures…Notre perte se monte exactement à 1 900 morts et 5 700 blessés…Tous les morts ont enterrés dans la journée du 10. On a compté sur le champ de bataille 7 000 Russes…L’aigle d’un des bataillons du 18e régiment ne s’est pas retrouvée ; elle est probablement tombée entre les mains de l’ennemi. On ne peut en faire un reproche à ce régiment : c’est, dans la position où il se trouvait, un accident de guerre ; toutefois l’Empereur lui en rendra une autre lorsqu’il aura pris un drapeau à l’ennemi. Cette expédition est terminée, l’ennemi battu et rejeté à cent lieues de la Vistule. L’armée va reprendre ses cantonnements et rentrer dans ses quartiers d’hiver… » (Corresp 11796 – publiée au « Moniteur » du 24 février).
· Bennigsen, qui avait profité de l’obscurité pour s’écouler silencieusement par sa droite devant les bivouacs de Ney vers Koenigsberg, fait annoncer une grande victoire russe à Alexandre : « …La bravoure et le courage inébranlable des Russes ont arraché une victoire disputée depuis longtemps… » Alexandre le félicitera en ses termes : « …Je vous félicite d’avoir eu la glorieuse fortune de vaincre celui qui n’avait jamais été vaincu…Je vous avoue que mon seul regret a été d’apprendre que vous avez reconnu nécessaire de vous replier… » De fait, dans toute l’Europe, Eylau apparaîtra comme un échec pour Napoléon.
· Le Sanhédrin, composé de 45 rabbins et de 26 laïcs se réunit à Paris, dans la salle Saint-Jean.
C.F