Lorsque sortit des États généraux de 1789 cette souveraineté populaire qui jeta le gant à la monarchie de droit divin, Pérignon avait déjà payé la dette que tout citoyen doit à son pays. Il était né à Grenade, près Toulouse, le 31 mai 1754, et la position sociale de sa famille lui avait donné une sous-lieutenance dans le corps des grenadiers royaux de Guyenne ; il était devenu ensuite aide-de-camp du comte de Preissac. Rentré depuis quelque temps déjà dans la vie civile, avec la maturité de l'exercice et des années, il ne tarda pas à s'associer au nouvel ordre de choses, en acceptant les fonctions de juge de paix du canton de Montech. C'est dans l'exercice de cette magistrature nouvelle et populaire que les électeurs du département de la Haute-Garonne vinrent le prendre pour l'envoyer comme leur représentant à l'Assemblée législative. Il comptait alors trente-sept ans; il avait servi comme officier, il avait siégé comme juge; ces précédents devaient influer sur le reste de sa vie et lui enlever, soit dans les camps, soit dans les affaires, le caractère de la spécialité. En effet, au premier cri de guerre, le cœur du soldat s'allume sous la toge du législateur, et il va prendre le commandement d'une légion dans l'armée des Pyrénées-Orientales.
Le 17 juillet 1793, au combat de Thuir et du Mas-de-Serre, son intrépidité eut une grande part aux succès des armes françaises. Nommé général de division le 3 nivôse an II, il eut la gloire de sauver la place de Perpignan : il reçut dans cette affaire un coup de baïonnette à la cuisse. Vainqueur à la Jonquière, le 19 prairial, suivant, il commandait le centre de l'armée le 28 brumaire an III, à la bataille de la Montagne-Noire où périt Dugommier. Il lui succéda dans le commandement en chef. La victoire d'Escola, la prise de l'imprenable Bouton-de-Rose et de la ville justifièrent glorieusement le choix qu'on avait fait de lui. Le 4 messidor an III, le traité de Bâle réconcilia la France et l'Espagne, et Pérignon, ambassadeur a Madrid, fut chargé de cimenter les relations amicales que ses victoires avaient rétablies. Deux ans plus tard, le vice-amiral Truguet le remplaça dans ce poste important, et il alla reprendre son rang de bataille à l'armée d'Italie. Il commandait l'aile gauche à la bataille de Novi; ses deux divisions gardaient les vallées de la Bormida et du Tanaro. Pérignon défendait le village de Pasturana et faisait des prodiges de valeur ; mais, accablé par le nombre, il tomba, couvert de blessures, au pouvoir de l'ennemi. Ce ne fut qu'en l'an IX que les Russes le rendirent à la France. Le vainqueur de Marengo accueillit l'intrépide et malheureux soldat de Novi ; mais, âgé déjà de quarante-sept ans, Pérignon ne pouvait pas prendre place dans ce cortège de jeunes capitaines qui se pressaient autour du jeune héros.
Le 26 ventôse an IX, le sénat conservateur recevait le message suivant :
« Le premier Consul, en exécution de l'article de la Constitution, vous présente comme candidat à la place vacante au Sénat, le général Pérignon, qui a signé le traité d'alliance conclu le 26 fructidor an IV entre la France et l'Espagne. »
Et le Sénat répondait à ce message par l'arrêté suivant :
Extrait des registres du Sénat conservateur. 8 germinal an IX.
Vu le message du Corps législatif, du 24 ventôse dernier, par lequel il présente le citoyen Grégoire, l'un de ses membres, comme candidat pour une place vacante du Sénat conservateur ;
« Vu pareillement le message du premier Consul, du 26 du même mois, par lequel il présente pour la même place le général Pérignon ;
« Vu enfin le message du Tribunat du 28 ventôse, contenant présentation, pour la même place, du citoyen Démeuniers l'un de ses membres;
« Le Sénat, réuni au nombre des membres prescrits par l'article 90 de la (Constitution, procède, en exécution de l'article 16, au choix d'un sénateur entre les trois candidats qui ont partagé le vœu des autorités présentantes;
o La majorité absolue des suffrages recueillis au scrutin individuel se fixe sur le citoyen Pérignon, général de division ;
« Il est proclamé par le président membre du Sénat conservateur.
« Le Sénat arrête que cette nomination sera notifiée, par un message du Corps législatif, au Tribunat et aux consuls de la République. »
Tiré de l'armée active, Pérignon rentrait ainsi dans la carrière législative par la première magistrature de la République. Le premier Consul le jugeait déjà trop mûr pour le champ de bataille. On peut marquer ici, avec vérité, le terme de sa vie militaire. Lorsque le chef de l'État lui rendit l'épée du commandant, ce fut plutôt pour un service de représentation que d'activité. Le traité du 26 fructidor an IV avait laissé de l'incertitude relativement aux limites de la France et de l'Espagne du côté des Pyrénées ; Pérignon, qui avait signé ce traité, reçut, le 24 fructidor an X, la mission de régler ces difficultés, en qualité de commissaire extraordinaire.
Président du collège électoral de la Haute-Garonne le 19 ventôse an XII, le 16 floréal suivant il présentait au premier Consul une députation du collège, et terminait ainsi son discours à celui que dix jours plus tard le Sénat allait saluer du titre d'Empereur.
« O Napoléon ! lorsque le monde reste dans le silence de l'admiration en présence de votre renommée, les trente-cinq millions de Français pourraient-ils ne pas consacrer cette si grande prédilection dont le ciel les a favorisés en vous plaçant à leur tête ! Qu'ils vous portent sur le pavois entouré de tous les attributs dignes d'eux et de vous; qu'en même ternes toute votre famille y soit portée, saisie d'un pacte héréditaire indissoluble, et que la postérité soit ainsi forcée à reconnaître que la génération présente sut tester glorieusement et utilement en faveur des générations futures. »
Pérignon avait été mis en possession de la senatorerie de Bordeaux par disposition consulaire. Le lendemain de son élévation à l'Empire, Napoléon rendit un décret (29' floréal), qui créait quatorze maréchaux de France, auxquels étaient adjoints, avec le même titre, quatre sénateurs, parmi lesquels Pérignon, comme ayant commandé en chef. Nous rapportons le texte même du décret ; les pièces que nous donnons plus loin en feront ressortir l'intérêt.
Décret impérial.
NAPOLEON, empereur des Français, décrète ce qui suit :
Sont nommés maréchaux de l'Empire, les généraux Berthier, — Mural, — Moncey, — Jourdan, —- Masséna, — Augereau, — Bernadotte, — Soult, — Brune, — Lannes, — Mortier,—Ney, — Davoût, — Bessières.
Le titre de maréchal d'Empire est donné aux sénateurs Kellermann, Lefebvre, Pérignon et Serrurier qui ont commandé en chef.
Donné à Saint-Cloud, le 29 floréal an XII.
NAPOLEON. Par l'Empereur,
Le secrétaire d'État, MARET. Le maréchal sénateur devint, le 25 prairial an XIII, grand officier de la Légion-d'Honneur et grand Aigle le 13 pluviôse an XIII.
Gouverneur de Parme et de Plaisance en 1806, il reçut en 1808 l'ordre d'aller prendre le commandement en chef des troupes françaises dans le royaume de Naples en remplacement du général Jourdan, et la même année il fut créé grand dignitaire de l'ordre des Deux-Siciles. Le titre de comte de l'Empire venait de lui être conféré. Il ne quitta Naples qu'au moment où le roi se déclara contre la France.
Après la restauration du trône des Bourbons, le duc de Valmy, au nom des quatre maréchaux sénateurs, adressa la réclamation suivante: A Monsieur, comte d'Artois, lieutenant-général du royaume.
«Paris, 15 avril 1814. « Monseigneur,
« Je viens, au nom de mes collègues, maréchaux-sénateurs, et au mien, comme doyen des maréchaux de France, réclamer près de Votre Altesse Royale contre l'ordre dans lequel on nous a placés par rapport aux autres maréchaux.
« Nous quatre, maréchaux-sénateurs, Kellermann, Lefebvre, Pérignon et Serrurier, avons été nommés des premiers et avant tous les autres, sans doute à cause de l'ancienneté de nos services et de nos grades de généraux en chef ou de division. Les autres maréchaux, même le maréchal Berthier, n'ont été nommés qu'après.
« Nous prions Votre Altesse Royale, lieutenant-général du royaume, d'avoir la bonté de nous faire rétablir dans l'ordre dans lequel nous devons être placés, et qui doit précéder MM. les maréchaux nommés depuis ces sénateurs.
« Entré au service comme cadet au régiment de Lowendal en 1752, chevalier de Saint-Louis avant l'âge prescrit par les règlements, j'ai passé par tous les grades. Nommé par Sa Majesté Louis XVI cordon rouge en 1791, lieutenant-général, général d'armée au commencement de 1792, j'ai commandé en chef les armées actives et de réserve jusqu'à ce jour. Doyen des maréchaux de France, je prie Votre Altesse Royale de me faire jouir des prérogatives attachées à ce titre, comme sousl'ancien ordre de choses.
« Je suis, etc. « Le maréchal-sénateur,
« KELLERMANN, duc de Valmy. »
A cette demande qui paraîtra au moins fort singulière à ceux qui auront lu le décret reproduit plus haut. Monsieur fit répondre :
« A M. le maréchal Kellermann, duc de Valmy.
a Palais des Tuileries, 17 avril 1814. « M. le Maréchal, -
« Son Altesse Royale Monsieur, lieutenant-général du royaume, à qui j'ai eu l'honneur de soumettre votre lettre du 15 de ce mois, me charge de faire connaître que la réclamation qu'elle contient pour vous, Monsieur le Maréchal, et pour MM. les maréchaux Lefebvre, Pêrignon et Serrurier, est d'une trop haute importance pour que Son Altesse Royale puisse prendre une décision avant l'arrivée de Sa Majesté Louis XVIII.
« Aussitôt que Sa Majesté sera arrivée, Son Altesse Royale lui mettra sous les yeux votre réclamation.
« Veuillez agréer, etc. »
Mais il y avait preuve de zèle et de condescendance dans cette démarche empressée, et puis le comte Pêrignon avait adhéré aux actes du Sénat; aussi le lieutenant-général du royaume le nomma commissaire du roi dans la 1ère division militaire, et des ordonnances royales des 31 mai, 1er et 4 juin, le firent successivement chevalier de Saint-Louis, président de la commission chargée de vérifier les titres des anciens officiers de l'armée des émigrés, et enfin pair de France.
Nommé en 1815 gouverneur de la 10ème division militaire, il chercha au mois de mars, de concert avec le baron de Vi-trolles, à organiser dans le Midi un plan de résistance contre Napoléon. Il n'y réussit point et resta éloigné des affaires pendant les Cent-Jours. Le 10 janvier 1816, il passa avec le même titre dans la 1ère division militaire, et reçut le 3 mai suivant la croix de commandeur de Saint-Louis.
Le maréchal Pêrignon est mort à Paris, le 25 décembre 1818.
Biographie des célébrités militaires des armées de terre et de mer de 1789 à 1850, C. Mullié