Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
27 janvier 2013 7 27 /01 /janvier /2013 00:00

 Naissance de Charles Alexandre Léon Durand de Linois

Vice-amiral honoraire, grand officier de la Légion-d’Honneur, chevalier de Saint-Louis, né à Brest le 27 janvier 1761. C’est encore une existence durement exercée, mêlée de bons et de mauvais jours ; c’est du reste un nom qui se survivra glorieusement immortalisé par les souvenirs d’Algésiras. A l’âge de 15 ans, il entrait dans la marine, et trois ans plus tard, la guerre qui avait commencé en 1778 et qui devait être suivie de tant d’autres, faisait du jeune volontaire un lieutenant de frégate auxiliaire à bord du Scipion, vaisseau de soixante-quatorze. En 1781 (1er juillet), il devint enseigne de vaisseau et de port, sous-lieutenant de port en 1784, enfin lieutenant le Ier mai 1789. Il comptait alors treize années de service actif, durant lesquelles il avait parcouru les côtes de France et d’Espagne, les mers de l’Amérique et de l’Inde.

A l’organisation de la marine (1791), il prit rang parmi les lieutenants de vaisseau à la date de son brevet de lieutenant de port, et il passa avec ce grade sur la frégate l’Atalante. Après trente-huit mois passés dans les mers de l’Inde, sur les côtes de Malabar, de Caromandel et d’Afrique, il était rentré en France. L’amiral Villaret le chargea d’aller avec une petite division éclairer la marche du contre-amiral Vanstabel, qui ramenait de l’Amérique Septentrionale un convoi de farine, attendu en France avec une douloureuse anxiété. Le convoi fit bonne route ; mais Linois, qui le cherchait, donna dans des voiles anglaises auxquelles il se rendit après une résistance honorable et désespérée (28 florréal an II). Sa belle défense avait attiré sur lui l’estime de ses ennemis ; après sa rentrée en France, elle le signala à l’attention du gouvernement.

Le 15 floréal an III, il fut promu au grade de capitaine de vaisseau, et il prit le commandement du vaisseau le Formidable, sous les ordres de l’amiral Villaret. L’armée navale sortit de Brest dans le courant de prairial : un engagement eut lieu le 29, un autre le 9 messidor. Les Anglais étaient supérieurs en forces : trois de nos vaisseaux tombèrent entre leurs mains ; le Formidable était de ce nombre. Linois, deux fois blessé, perdit l’œil gauche dans ce combat. Cette fois encore, sa captivité ne fut pas de longue durée : il eut le bonheur d’être échangé deux mois après avec le capitaine de vaisseau anglais John Carruthers. L’année suivante (an IV), la marine fut réorganisée, et Linois, nommé chef de division, prit le commandement du Nestor. Lors de l’expédition d’Irlande, qui fut sans résultat, il commandait en cette qualité trois vaisseaux et quatre frégates. Arrivé dans la baie de Bantry, il voulut débarquer sa petite armée : les généraux s’y opposèrent, et Linois la ramena saine et sauve à Brest. Quatre prises qu’il fit entrer avec lui dans le port témoignèrent de l’impuissance des ennemis à s’opposer à son retour. Le 5 pluviôse an VII, le premier Consul rendait l’arrêté suivant : « Bonaparte nomme, sur la demande de l’amiral Bruix, au grade de contre-amiral, Durand Linois, chef de division. »

Pendant vingt mois, à partir de ce jour, il remplit les fonctions de chef d’état-major général de l’armée navale aux ordres de l’amiral Bruix, et successivement des contre-amiraux Delmotte et Latouche-Tréville.

En 1800, il commandait en second l’escadre expéditionnaire aux ordres de l’amiral Gantheaume. Après les affaires de Porto-Ferrajo et de l’île d’Elbe, il reconduisit à Toulon trois vaisseaux atteints d’épidémie, et le 13 juin 1801, il sortit de ce port avec les mêmes bâtiments et la frégate la Muiron pour aller à Cadix se joindre à l’escadre espagnole. Il avait à bord 1.600 hommes de troupes extraordinaires. Il prit sur sa route un brick de 24 canons et de 64 hommes d’équipage, commandé par lord Cochrane. C’était bien débuter ; mais bientôt il allait avoir affaire à plus forte partie. Arrivé à l’entrée du détroit de Gibraltar, il apprit par un bateau expédié de la côte qu’il se trouvait entre deux escadres anglaises, l’une venant de Cadix et l’autre du large. Il prit le parti de se jeter dans la baie de Gibraltar, et il mouilla le 4 juillet au soir dans la rade d’Algésiras. Deux jours après, les Anglais étaient en face de lui avec six vaisseaux et une frégate. Sa défaite semblait certaine, il la changea en triomphe. Ce beau fait d’armes est rapporté ainsi qu’il suit dans le Moniteur du temps (30 messidor an IX) :

"Le contre-amiral Linois, avec trois vaisseaux, le Formidable et l’Indomptable, de 80 canons, capitaines Laindet-Lalonde et Moscousu, le Desaix, de 74 canons, capitaine Christi-Pallière, et la frégate la Muiron, de 18, capitaine Martinenq, après avoir donné la chasse aux vaisseaux ennemis qui croisaient sur les côtes de Provence, s’est présenté devant Gibraltar au moment où une escadre anglaise de six vaisseaux y arrivait. Le 15 messidor, le contre-amiral Linois était mouillé dans la baie d’Algésiras, s’attendant à être attaqué, le lendemain matin. Dans la nuit, il a débarqué le général de brigade Deveaux, avec une partie des troupes, pour armer les batteries de la rade. Le 16, à huit heures du matin, la canonnade a commencé contre les six vaisseaux anglais, qui n’ont pas tardé à venir s’embosser à portée de fusil des vaisseaux français. Le combat s’est alors chaudement engagé. Les deux escadres paraissaient également animées de la résolution de vaincre. Si l’escadre française avait quelque avantage par sa position, l’escadre anglaise était d’une force double, et avait plusieurs vaisseaux de quatre-vingt-dix. Déjà le vaisseau anglais l’Annibal était parvenu à se placer entre l’escadre française et la terre. Il était onze heures et demie : c’était le moment décisif. Depuis deux heures le Formidable, que montait le contre-amiral Linois, tenait tête à trois vaisseaux anglais. Un des vaisseaux de l’escadre anglaise qui était embossé vis-à-vis d’un des vaisseaux français, y ramena son pavillon à onze heures trois quarts. Un instant après, l’Annibal, exposé au feu des batteries des trois vaisseaux français qui tiraient des deux bords, amena aussi le sien. A midi et demi, l’escadre anglaise coupa ses câbles et gagna le large. Le vaisseau l’Annibal a été amariné par le Formidable. Sur 600 hommes d’équipage, 300 ont été tués. Le premier vaisseau anglais qui avait amené son pavillon a été dégagé par une grande quantité de chaloupes canonnières et autres embarcations envoyées de Gibraltar. Le combat couvre de gloire l’armée française, et atteste ce qu’elle peut faire. Le contre-amiral Linois doit être à Cadix avec l’Annibal pour le réparer".

Le 9 thermidor, le chef du gouvernement donnait à l’amiral Linois un témoignage officiel de la satisfaction de la République par l’arrêté suivant :

BREVET D’HONNEUR.

« Bonaparte, premier Consul, considérant que le contre-amiral Linois a si habilement fait usage des moyens militaires et maritimes qui étaient à sa disposition et qu’il a déployé tant de courage que, malgré l’inégalité de ses forces, il ne s’est pas borné à une défense glorieuse, mais qu’il est parvenu à désemparer entièrement l’escadre anglaise, à contraindre deux vaisseaux de soixante-quatorze d’amener leur pavillon et à s’emparer du vaisseau l’Annibal ; voulant récompenser un fait de guerre aussi honorable pour les armes de la République que pour l’officier général à qui le commandement de la division était confié, décerne, à titre de récompense nationale, au contre-amiral Linois un sabre d’honneur. »

Cependant, l’amiral anglais se praparait à venir demander compte de sa défaite : Dès le 9 messidor, il sortait de nouveau de Gibraltar pour reprendre son poste d’observation. Parti le même jour de Cadix, don Juan de Moreno amenait à l’amiral français cinq vaisseaux, trois frégates et un brick.

L’engagement eut lieu le 23 : Deux vaisseaux espagnols, trompés par l’obscurité, se battirent avec acharnement, prirent feu et sautèrent ensemble. Le vaisseau français le Saint-Antoine, de 74 canons, amena son pavillon ; mais le Formidable, aux prises avec trois vaisseaux et une frégate anglaise, resta maître du champ de bataille. Ce beau combat sauva l’honneur du pavillon français.

A la fin de l’année 1801, Linois sortit de Cadix avec trois vaisseaux et trois frégates : ces bâtiments portaient 1.800 hommes pour Saint-Domingue. Après deux mois de séjour dans la colonie, il opéra son retour à Brest avec l’escadre de l’amiral Villaret. Après avoir signé, du pommeau de son épée, le mémorable traité d’Amiens, un des premiers soins de Napoléon fut d’envoyer dans l’Inde une expédition qui pût mettre à profit le temps de sa courte suspension d’armes que ce traité venait d’établir entre l’Angleterre et la République française. Une petite division composée d’un vaisseau, de trois frégates et de deux transports, appareilla à Brest le 14 ventôse an XI, sous les ordres du contre-amiral Linois, pour aller porter dans les comptoirs indiens le capitaine général Decaen, un bataillon d’infanterie et un grand nombre d’employés civils et militaires chargés de remplir les postes qui les attendaient dans les anciennes et pauvres colonies que l’Angleterre avait enfin consenti à nous restituer.

La frégate la Belle-Poule, détachée en mer de la division que commandait le vaisseau le Marengo, se présenta le 27 prairial devant Pondichéry, pour prendre possession de cette place, sous laquelle stationnaient encore cinq vaisseaux de ligne, trois frégates et deux corvettes commandées par l’amiral anglais Rainier ; mais au mépris des conventions stipulées depuis un an déjà, entre les gouvernements anglais et la république, cet amiral, après avoir pris connaissance des dépêches du commandant français, refusa à la Belle-Poule l’autorisation de communiquer avec la terre, et ce ne fut que vingt-cïnq jours après avoir retenu cette brigade prisonnière sous le canon de son escadre, que Rainier, voyant arriver à Pondichéry la division Linois, voulut bien permettre au général Decaen, de mettre une garnison dans la ville. Cette prise de possession si tardive ne devait pas être de longue durée, le lendemain même de son départ à Pondichéry, Decaen reçut l’ordre par le brick le Bélier, parti de Brest dix jours après lui, de laisser son bataillon expéditionnaire à terre, et de faire voile immédiatement pour l’Ile-de-France, où il devait attendre la rupture imminente de l’éphémère convention d’Amiens. L’exécution d’un ordre aussi inattendu devenait difficile pour le capitaine général et l’amiral français, en présence de l’escadre de Rainier, si supérieure en force à la division Linois. Mais après s’être entendus ensemble pour tromper la surveillance de l’amiral anglais, les deux généraux exécutèrent avec habileté le plan qui devait assurer la fuite mystérieuse dans laquelle ils pouvaient espérer de trouver leur salut. Le soir même du jour de l’arrivée du Bélier, le vaisseau le Marengo et les trois frégates qui l’avaient accompagné, appareillèrent silencieusement de la rade de Pondichéry, sans que l’escadre ennemie eût soupçonné cette manœuvre discrète et hardie. Ce ne fut qu’en apercevant le matin le vide que la sortie nocturne des navires français avait laissé auprès de lui, que l’amiral Rainier se douta de la rupture du traité de paix, et que, de dépit d’avoir été joué de la sorte, il se décida à faire le blocus de Pondichéry défendu seulement par le bataillon d’infanterie arrivé depuis dix jours. Le 28 thermidor, le Marengo et les trois frégates, échappés si heureusement à la défiance de l’escadre de Pondichéry, mouillèrent à l’Ile-de-France.

Ce retour étonna le capitaine général Deçaen : il adressa à ce sujet au ministre de la marine un long rapport qui se trouve dans l’ouvrage intitulé : Correspondance de Napoléon avec le Ministre de la marine, t. Pr, p. 310. Ce rapport mis sous les yeux de Napoléon, donna lieu, entre l’Empereur et son ministre, à une correspondance où se trouvent les passages suivants :

Au Château, près Gueldres, 27 fructidor an XII.

« Monsieur Decrès, ministre de la marine, j’ai lu avec attention le rapport et les différentes lettres du capitaine général Decaen ; la conduite du général Linois est misérable. Toutes les expéditions sur mer qui ont été entreprises depuis que je suis à la tête du gouvernement, ont manqué, parce que les amiraux voient double et ont trouvé, je ne sais où, qu’on peut faire la guerre sans courir aucune chance, etc.

« Sur ce, etc. NAPOLEON. » Cologne, 28 fructidor an XII.

A Monsieur Decrès, ministre de la marine, je vous ai déjà exprimé tout ce que je ressentais de la conduite du général Linois. Il a rendu le pavillon français la risée de l’Europe. Le moindre reproche qu’on peut lui faire, c’est d’avoir mis beaucoup trop de prudence dans la conservation de sa croisière. Des vaisseaux de guerre ne sont pas des vaisseaux marchands. C’est l’honneur que je veux qu’on conserve, et non quelques morceaux de bois et quelques hommes. Le mépris, en Angleterre, est au dernier point de la part des officiers de marine. Je voudrais pour beaucoup que ce malheureux événement ne fût pas arrivé ; je préférerais avoir perdu trois vaisseaux, etc.

« Sur ce, etc. NAPOLEON. »

Malgré tout ce mécontentement, si vivement exprimé, l’Empereur nomma Linois commandant de la Légion-d’Honneur le 25 prairial an XIII ; c’est que, probablement, de nouveaux renseignements lui étaient arrivés et qu’il avait reconnu que le rapport du général Decaen n’était pas exempt de partialité.

Quoi qu’il en soit, à l’arrivée de Linois, le traité de paix venait d’être authentiquement déchiré, et c’est la guerre que le capitaine général de nos deux seules possessions de l’Inde doit se disposer à faire avec un vaisseau de ligne, contre les maîtres orgueilleux de tout l’Orient maritime. Decaeri commandera les forces de terre, Linois les forces de mer, c’est-à-dire le Marengo et les trois frégates. Le 16 vendémaire an XII, l’amiral appareilla, avec sa division, pour aller jeter à Batavia quelques troupes bataves. Dans sa route il rencontra et brûla quatre ou cinq gros navires de la compagnie des Indes. L’important comptoir de Bencoolen dans l’île de Sumatra est sur son chemin: il le détruit en passant. Après avoir effectué le débarquement de ses troupes passagères sur les côtes de Java, il court, sans laisser de traces de sa route, établir sa mystérieuse croisière à l’ouverture même des mers de la Chine. Un convoi de riches galions sort avec sécurité de Macao, et tombe sous la volée de l’escadrille brestoise, qui combat les navires de guerre de l’escorte, et s’empare, à la suite de la plus vive et de la plus brillante action, d’une partie des riches navires qu’elle a dispersés à coups de canon.

Vingt millions de francs, produit des prises capturées dans cette courte et éclatante campagne, signalèrent le commencement des hostilités entre l’Inde française réduite aux îles de France et de la Réunion, et l’Inde anglaise qui embrassait déjà tout le continent indien.

Trois autres courses aussi belles, aussi habilement dirigées, rendirent le vaisseau le Marengo l’effroi du commerce anglais dans les mers qu’il parcourait. Le 17 thermidor, une flotte de bâtiments de guerre chargée de troupes et escortée par le vaisseau anglais le Bleinhein, de 80 canons se range en bataille pour recevoir l’attaque du vaisseau français, qui seul s’avance pour le combattre à demi-portée de pistolet, et qui, après l’avoir canonné pendant plusieurs heures, ne consent à l’abandonner que lorsque le mauvais temps le force à aller se mettre en cape au large de cette flotte, étonnée de tant d’audace et de bonheur. Mais, pendant ces croisières glorieuses, les îles françaises que le Marengo avait momentanément quittées, se trouvaient enfin bloquées et serrées par des forces trop nombreuses et trop supérieures pour que Linois pût se hasarder à les aborder avec son seul vaisseau. Réduit à la nécessité de réparer son navire fatigué par un long séjour dans les mers lointaines et criblé du feu de l’ennemi, l’amiral se décida à faire route pour l’Europe. La frégate la Belle-Poule, qu'il avait rallié depuis peu, devait le suivre dans cette dernière traversée vers les côtes.

Le 22 ventôse an XIV, les deux fidèles compagnons de route, se trouvant déjà à la hauteur des îles du cap Vert aperçoivent à deux heures du matin une voile courant à contre-bord d’eux. Bientôt cette voile, dont l’obscurité de la nuit permettait à peine d’observer tous les mouvements, fut suivie de deux autres voiles. Le premier de ces trois navires portait des feux à sa corne d’artimon : c’était un signal de ralliement. Quelques fusées romaines, lancées dans les airs par un des bâtiments en vue, ne laissèrent plus de doute au Marengo sur l’espèce de rencontre qu’il venait de faire. « Ce sont des navires de guerre, dit Linois à son brave capitaine Vrignaud, qui commandait sous les ordres de l’amiral ; ils escortent sans doute un fort convoi, faites faire un branle-bas de combat à notre bord, et gouvernez de manière à passer près d’eux, pour que nous puissions les reconnaître. » Cet ordre est bientôt exécuté. A trois heures l’amiral s’aperçut qu’au lieu de redouter la chasse qu’il voulait leur appuyer, les navires rencontrés avaient manœuvré de manière à attaquer le Marengo et la Belle-Poule, dont la marche était inférieure à celle du vaisseau. A cinq heures du matin, alors que le jour commençait à poindre et à jeter quelque clarté à portée de fusil dans les eaux du Marengo, un vaisseau à trois ponts, couvert de toile, et battant pavillon anglais à sa corne d’artimon. Les couleurs nationales furent aussitôt hissées à bord du vaisseau français, et, pour assurer le signal, Linois fit envoyer au même moment toute sa volée dé tribord dans l’avant du vaisseau chasseur. Le feu, ainsi commencé, ne fut interrompu que lorsque le London approchant le Marengo, à la largeur d’écouvillon, sembla vouloir présenter l’abordage. Trompé par ce simulacre d’attaque, Linois ordonne au capitaine Vrignaud de faire monter tout le monde sur le pont et de jeter des grapins à bord de l’ennemi : les grapins, hissés au bout des vergues qui se sont déjà croisées avec les vergues plus élevées d’un trois points, tombèrent à bord du London, tant l’équipage français, perché sur’les bastingages, ou suspendu dans le gréement est prêt, palpitant d’ardeur, à commencer le carnage. Mais à l’instant où les deux vaisseaux vont s’accoster et s’étendre pour ne plus se séparer que vainqueurs ou vaincus, le London laisse brusquement arriver, emportant avec lui, au large du Marengo, les grapins rompus qui lui déchirent les plats bords, et qui devaient attacher un instant sur ses flancs l’audacieux vaisseau français.

Il fallut, après cet abordage manqué, reprendre la canonnade meurtrière que le Marengo, trompé par la ruse du London, avait suspendue avec trop de joie et de confiance. Les ponts et les gaillards balayés par des volées de mitraille, sont jonchés de blessés et de morts. L’officier de manœuvre est déjà mis hors de combat. Les écoutes et les amures sont hachées ; les haubans et les étais coupés sur la mâture chancelante ; les voiles criblées sur leurs vergues à moitié rompues, et cependant, à la lueur des pièces qui tonnent à bord des deux vaisseaux, Linois, sans être ébranlé dans sa résolution, veut encore se projeter et défiler, dans l’épaisse fumée dont le Marengo est environné, les voiles menaçantes des navires anglais qui viennent de secourir le London. La Belle-Poule, engagée déjà avec la frégate l’Amazone, combat à la fois le London et le nouvel assaillant qui lui prête le travers. La résistance était belle, mais désespérée : c’étaient deux navires luttant bord à bord avec toute une escadre, sans qu’une voix se fût élevée à bord de ces navires pour parler de se rendre. Un seul incident est remarqué sur le gaillard d’arrière du Marengo : l’amiral vient d’être transporté au poste des chirurgiens, et à la place qu’il occupait est monté le capitaine Vrignaud ; le capitaine de frégate Chasseriau remplace son commandant, qui, lui-même, quelques minutes auparavant, a remplacé sur son banc de quart l’amiral Linois, grièvement blessé. « Tous nos officiers passeront sur ce banc de quart, » se disent tout bas les hommes de l’équipage ; et tout l’équipage continue à combattre en silence et toujours avec fureur. A chaque minute, l’amiral Linois et le commandant Vrignaud, l’un avec le mollet droit enlevé, et l’autre avec un bras de moins, donnaient au lieutenant Armand des ordres que celui-ci s’empressait de transmettre au capitaine de frégate devenu si vite le commandant du Marengo. A neuf heures et demie enfin et après six heures de combat, le Marengo et la Belle-Poule, entourés par sept vaisseaux de ligne et plusieurs frégates, sentirent l’inutilité de la résistance, et commencèrent à concevoir l’impuissance des moyens qui leur restaient pour résister. Huit pièces seulement, à bord du vaisseau français, se trouvaient encore en état de faire feu ; les batteries, commandées par les lieutenants Ravin et Kerdrain, épuisées par le nombre d’hommes qu’elles avaient été obligées de fournir pour remplacer les morts dont les dunettes et les gaillards étaient couverts, ne tiraient plus qu’à de longs intervalles quelques coups de canon de retraite. Tous les officiers étaient blessés, il n’y avait plus que des victimes à offrir à la supériorité invincible des forces de l’ennemi. L’état-major et les maîtres furent consultés ; et, à neuf heures quarante minutes, le pavillon en lambeaux fut amené lentement sur les tronçons des mâts du vaisseau le Marengo haché, percé à jour et à moitié coulant bas d’eau sous la volée de toute l’escadre ennemie rassemblée autour de ses débris fumants.

Le mot de l’amiral John Varrens, sur ce combat, mérite d’être rapporté : « Voilà dit-il en apprenant à quel bâtiment il venait d’avoir affaire, un vaisseau qui s’est montré digne du nom qu’il porte. » Les vainqueurs comptèrent sur le vaisseau amiral 60 hommes tués, 82 blessés, et parmi ces derniers, Linois et son capitaine de pavillon. Au milieu de tant d’expéditions durant lesquelles, depuis son départ de Brest, il avait coupé douze fois la ligne, les nouvelles de France lui étaient cependant parvenues. En effet, le commandant des forces navales françaises dans l’Inde adressait à l’Empereur des Français la lettre suivante, datée de l’Ile-de-France, le 23 frimaire an XIII.

« Sire, le vaisseau de l’État, environné d’écueils, allait périr, votre main savante saisit le gouvernail et le conduit au port. Puisse le pilote habile qui sauva mon pays, occuper longtemps le rang élevé où viennent de l’appeler la reconnaissance des Français et l’admiration du monde entier ! Puisse-t-il jouir longtemps de la gloire et du bonheur que son courage, ses talents et ses vertus ont donnés à la France ! Puisse la voix d’un sujet fidèle, parvenir jusqu’à lui du fond de ces contrées lointaines, pour lui transmettre les vœux des militaires et des marins employés dans la division des forces navales à mes ordres, et lui porter l’expression particulière de ma reconnaissance, de mon respect et de mon amour. LINOIS. »

Lorsqu’il revit la France en avril 1814, le hasard des batailles avait reporté Louis XVIII sur le trône et relégué à l’île d’Elbe le grand Empereur. Le 13 juin, Linois était nommé gouverneur de la Guadeloupe, et chevalier de Saint-Louis le 5 juillet suivant. Dès le 29 avril, la nouvelle du retour de Napoléon à Paris était parvenue dans les îles du Vent. Cependant les lettres de l’amiral, des 2 et 22 mai, et même du 2 juin, au comte de la Châtre, alors ambassadeur à Londres, contenaient des protestations de fidélité et de dévouement au roi.

Les 17 et 18, la garnison se souleva et le gouverneur fut arrêté. Le lendemain 19, il fit une proclamation et ressaisit les rênes de l’administration, mais au nom de l’Empereur. Les nouvelles de Waterloo ne tardèrent pas à arriver, et avec elles les attaques des forces anglaises Le 10 août, la capitulation fut signée, et le lendemain, les troupes françaises furent embarquées pour être conduites en France et remises à la disposition du duc de Wellington. Le 4 octobre, Linois écrit de la rade de Plymouth au vicomte Dubouchage, ministre de la marine ; il lui donne tous les détails de ce qui s’est passé à la Guadeloupe, il explique qu’il n’a jamais cessé, malgré les apparences, d’être sujet fidèle et soumis du roi, et il termine en demandant que sa conduite soit soumise à l’examen d’un conseil de guerre. Il fut en effet renvoyé devant le conseil permanent de la lre division militaire, par ordonnance du 26 décembre 1815, et le 11 mars suivant, déclaré non coupable à l’unanimité.

Une décision royale le mit à la retraite le 18 avril 1816 ; et le 13 mai suivant la cour royale enregistra, en audience solennelle, les lettres patentes qui lui ont conféré le titre de comte. En 1825, à l’occasion du sacre de Charles X, il fut nommé vice-amiral honoraire. Louis-Philippe le fit grand officier de la Légion-d’Honneur le 1er mars 1831, et plus tard, il ordonna que son nom serait gravé sur la partie Ouest de l’arc de triomphe de l’Étoile.

 

 

Partager cet article
Repost0

commentaires

1er Consul

2 août 1802 jusqu'au 18 mai 1804

en_premier_consul.jpg

Napoléon Ier

370px-Ingres-_Napoleon_on_his_Imperial_throne.jpg

18 mai 1804 au 6 avril 1814 et du 20 mars 1815 au 22 juin 1815

napoleon1er

Liens